4.4 °Accessoires de mobilier

yves Publié le 23 novembre 2007 Mis à jour le 1 juin 2009

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L’usage de panneaux de tôle vernie dans le meuble français au 18ème siècle

 

Dans son ouvrage « Le meuble français en laque au 18ème siècle », Thibault Wolversperges donne de précieux renseignements sur l’utilisation de panneaux de tôle vernie dans le mobilier.

 

Jean-Baptiste Clément, vernisseur de la Manufacture de la petite Pologne, inséra dans les gazettes parisiennes plusieurs annonces vantant les mérites de son établissement.

Ainsi, le Mercure de France de mai 1770 cite, parmi les différentes marchandises de tôle vernie que celle-ci avait déjà réalisées, l’existence de « commodes et autres meubles ».A la même époque, un encart des Petites Affiches de Paris stipule, le 17 mai, qu’en raison du mécontentement causé par leur représentant Framery, marchand mercier, le même Clément priait les clients de lui adresser directement leur commande à la manufacture « où l’on fera des commodes, cabinets, chiffonnières et autres meubles dans le goût de la Chine ».

 

D’autre part, si la Manufacture royale de vernis sur tôle de la veuve Gosse et Samousseau n’inséra aucun encart publicitaire révélant la création de meubles en tôle, un état des marchandises, dressé en 1776, mentionne l’exceptionnelle présence, parmi plus de onze cent pièces manufacturées, de trois meubles en tôle vernie, soit deux armoires et une encoignure « vernies et japonnées ».

 

Dès lors, si certains meubles des ébénistes Macret et Lutz datant des années 1770 présentent de tels panneaux, il apparaît extrêmement difficile, voire même impossible, de déterminer avec certitude de quelle manufacture ces panneaux étaient issus, aucun relevé de débiteurs de ces deux sociétés n’ayant pu être retrouvé. Même si la Manufacture de la Petite Pologne précisa qu’elle confiait une partie des ventes de ses marchandises au marchand Framery, puis à Dulac, les données relatives à ces deux marchands n’aident aucunement pour déterminer la paternité de ces meubles. Il en va de même des deux ébénistes précités, qui estampillèrent trois commodes et une encoignure dont les vantaux sont recouverts de plaques de tôle à décors japonais. Réalisé entre 1765 et 1775, cet ensemble unique présente une telle unicité qu’il serait tentant de penser qu’il avait plutôt été réalisé sous les ordres de Pierre Macret, ébéniste et marchand mercier installé rue Saint Honoré, devenu fournisseur des Menus Plaisirs du Roi dès 1764, et que celui-ci dût sous-traiter avec l’ébéniste Lutz, trop récemment admis à la maîtrise pour pouvoir concevoir seul un tel meuble.

 

Comme l’annonçait la Manufacture de la Petite Pologne, les clients pouvaient adresser leurs commandes particulières directement à la manufacture; elle offrait également la possibilité d’en procurer soi-même le modèle. Par le fait qu’aucun marbre, ni même aucune garniture de bronze doré, n’ont pu être retrouvés dans les locaux de ces deux manufactures, il apparaît plus que probable que l’une comme l’autre ne les réalisait qu’à la commande émanant vraisemblablement d’un marchand.

 

Cette série de meubles, véritablement unique dans l’histoire du mobilier en laque, témoigne d’une simplicité de construction édifiante, les panneaux en tôle, parfaitement adaptés aux dimensions des meubles, étant simplement fixés par des encadrements et des baguettes de bronze doré, ou par un retour de tôle vissé dans le bâti. Ils sont également les seuls à présenter l’entièreté du meuble plaquée de tôle, excepté, évidemment, la structure portante décorée en vernis Martin, ce qui témoigne d’une commande bien particulière, contrairement aux meubles de pur style Louis XVI, se contentant d’enchâsser comme des tableaux leurs panneaux de tôle qui deviennent, de ce fait, indépendants de la structure du meuble et qui pouvaient facilement être remplacés par tout autre matériau.

 

Si la commode à fond noir de  Lutz a pu être rapprochée d’une description d’une commode en tôle réalisée entre 1771 et 1778 pour la Marquise de Beringhen, il apparaît que des meubles en tôle furent conçus à Paris bien avant la création de ces deux manufactures. Ainsi la Princesse d’Anhalt-Zerbst, « dame et grande impériale de Catherine de Russie », possède, en 1760, dans son cabinet sis dans l’Hôtel Vendôme, rue d’Enfer, une « fausse commode de tôle à jour à dessus de marbre», qui, comme l’apprend son inventaire après décès, imitait et accompagnait une commode de laque à trois tiroirs de même dimension, soit 90 cm de large. Malheureusement, aucun renseignement n’a pu être retrouvé à ce jour dans les archives parisiennes concernant ce genre de travaux avant la création des deux manufactures précitées.

 

Si les deux manufactures de vernis connurent de sérieux problèmes, que ce soit dans la gestion journalière, la situation des actionnaires mais surtout la vente de leurs produits, ceux-ci ne rencontrant qu’un accueil des plus mitigés du public, la situation catastrophique de la Manufacture de la Petite Pologne entraîna, en 1771, la fuite de plusieurs ouvriers qui purent, par la suite, travailler de manière indépendante. Comme l’annonçait Granchez en octobre 1771, deux anciens ouvriers de cette entreprise oeuvraient alors pour lui. Aussi, il ne faut pas s’étonner de retrouver la veuve Clément, ancienne vernisseuse de la manufacture, réclamant, en 1784, le paiement de son salaire par Granchez.

 

Les autres ouvriers, dont plusieurs vernisseurs ou « japonneurs », purent également travailler pour des marchands, que ce soit pour Daguerre ou Delaroue, ce dernier ayant fourni au Comte d’Artois une table à écrire dont  la ceinture présente « dix médaillons en tôle couleur de lapis, vernis avec des figures dansantes dans le genre des camées antiques ».

Deux guéridons quadripodes sont également ornés de plaques de tôle vernie imitant la porcelaine. Par leur simplicité et une garniture de bronze doré limitée au strict minimum, ils ne peuvent guère être perçus comme concurrents des tables dotées de plaques de porcelaine, mais simplement comme une imitation à meilleur marché destinée à une clientèle différente. Le premier guéridon, le plus luxueux, est orné sur sa ceinture de quatre plaques rectangulaires imitant un décor de porcelaine et doté d’un plateau également de tôle, reprenant les thèmes des pastorales à la manière de Teniers. Le second, sommé d’un marbre blanc, présente sur la ceinture quatre plaques à fond blanc décorées de grappes de fruits. Identiques d’un point de vue mesure et structure en bois d’amarante et de rose, seule leur garniture de bronze doré diffère. Difficilement attribuables au travail d’un marchand mercier bien déterminé, ils sont un bon témoignage d’une production de meubles moins onéreux incorporant des panneaux de tôle.

 

Si le marchand Granchez passa une annonce dans le Mercure de France vantant les mérites des objets en tôle vernie de sa fabrique de Clignancourt, il y précisa pour les différentes garnitures de cheminée qu’elles sont « très perfectionnées pour les peintures, tant à sujets qu’à fruits & fleurs, imitant les plus belles porcelaines ». D’ailleurs, certains objets portant la marque de cette manufacture présentent un décor dans le même esprit que les plaques à décor de fruits ornant la table décrite ci-dessus. Il faut cependant noter que les plaques de tôle à l’imitation de la porcelaine ne furent pas le monopole de Granchez. Ainsi, Daguerre, livrant un bureau plat de Carlin doté de plaques de porcelaine de Sèvres, l’accompagna d’une armoire « à portes de chaque côté pour mettre au bout dudit bureau, elle est plaquée en bois de rose, & ornée de plusieurs panneaux de taule peints et vernis à l’imitation de la porcelaine ».

 

D’autres marchands merciers firent aussi réaliser des meubles en tôle moins luxueux, par simple montage de plateaux sur un piètement conçu à cet effet. Ainsi, le marchand mercier Dubuisson se spécialisa dans l’arrangement de table à plateau de tôle vernie d’Angleterre. Ces guéridons furent réalisés par l’ébéniste Canabas, à qui il paya le 24 décembre 1767, 29 livres pour « un pied (à tige) en bois d’acajou a crémaillère et tournant pour un platteau de tole d’Angleterre vernis »., qu’il revendit six jours plus tard pour 72 livres. Ce même marchand avait déjà livré une table de ce genre, en septembre 1767, et une autre, l’année suivante. De telles tables, toujours en tôle anglaise, se retrouvent également chez Madame Blakey, installée rue des Prouvaires  « Au magasin Anglais ». Daguerre, semble-t-il, a également vendu des guéridons où s’encastrent des plateaux de tôle vernie d’Angleterre.

 

L’ouvrage d’Alain Renner, intitulé « Mobilier de métal de l’Ancien Régime à la Restauration » consacre au chapitre III, un intéressant paragraphe au « Mobilier en tôle peinte », pages 120 à 129.

 

Plusieurs pièces de mobilier exceptionnelles y sont décrites.

 

La première, assez rare, est la commode à ressaut citée plus haut, coiffée d’un marbre brèche violette des Pyrénées, ouvrant en façade par deux vantaux marquetés intérieurement et découvrant une étagère. Si l’ébéniste Gérard Henri Lutz, reçu maître en 1776, en fit le bâti, le reste du travail fut exécuté par un peintre vernisseur de la manufacture Samousseau.

Les deux portes, en tôle laquée à fond noir avec rehauts d’or, sont ornées d’éventails présentant des paysages animés de pêcheurs dans le goût chinois. Encadrements, montants et pieds sont rehaussés par des quadrillages feuillagés, à l’imitation de la marqueterie dite « à la Reine ».

Cette commode est probablement celle décrite ainsi: « Une commode en taule peinte sur fond de laque garnie de fonte dorée… »,  au n° 109 de l’inventaire après décès de la Marquise de Berhinghen, dans le petit cabinet l’Hôtel de Sens.

 

Les meubles ornés de plaques de tôle sont extrêmement rares et bien peu sont parvenus jusqu’à nous.

 

Un ensemble de trois meubles, estampillé Macret, portant un décor similaire et des bronzes identiques, présente,

à l’instar de la commode de Lutz, la caractéristique d’être entièrement recouverts de plaques de tôles alors qu’en général sur les autres meubles connus, ces plaques sont utilisées comme éléments décoratifs, remplaçant les plaques de porcelaine ou les panneaux de laque d’Extrême Orient :   

 

-une commode, à plateau de marbre blanc veiné, donnée en 1965 par la Fondation Florence Goult et conservée

 au château de Versailles, dans les appartements du Petit Trianon.

 Elle porte deux marques, non identifiées, surmontées d’une couronne : DFT et GRC, ainsi que la marque du fer

 du Garde-robe de Marie-Antoinette, alors Dauphine.

 Elle est ornée de plaques de tôle laquée, à l’imitation de l’aventurine, sur les deux portes et sur les côtés.

 Chaque panneau est orné de réserves chantournées, à décor noir et or de paysages animés avec pagodes sur un

 fond rouge vermillon.

 

-une commode, identique à celle de Versailles, vendue aux enchères, par Me Loiseau et Schmit, à Saint Germain

 en Laye, le 30 juin 1985.

 

-une encoignure, portant elle aussi les marques DFT et GRC, vendue aux enchères à Paris par Me Audap,  le 23

   mars 1984 (lot 101).

 

Parmi les meubles ornés de plaques de tôle laquée, on peut citer deux bureaux à cylindre estampillés de Claude-Charles Saunier et un de R.V.L.C (Roger Vandercruse dit Lacroix).

 

La tôle, a parfois été utilisée, dans un but pratique plus qu’esthétique, comme doublure pour des tiroirs ou des armoires dont on voulait faire un coffre-fort. Le « Livre journal » de Lazare Duvaux mentionne à plusieurs reprises deux secrétaires de ce type. La tôle a aussi pu être plaquée d’argent, voire remplacée par du cuivre argenté, pour décorer de petites tables ou former des caissons de tables-servantes ou de jardinières.

 

La tôle fut aussi utilisée pour des ornementations imitant les plaques de porcelaine de Sèvres mises à la mode par Martin Carlin.

 

Un exemple remarquable est une exquise table écritoire ovale, estampillée Jacques-Laurent Cosson reçu maître en 1765, probablement créee par le marchand mercier Granchez qui employait d’anciens ouvriers de la manufacture de la « Petite Pologne ».

Le plateau est orné d’un panier de fleurs posé sur un rocher à côté de fruits négligemment posés, bien dans le goût du retour au naturel de Marie-Antoinette, La ceinture est ornée de plaques de tôle décorées de guirlandes de fleurs sur fond blanc.

 

Un autre exemple notable est celui d’une petite table ovale à deux plateaux, conservée à la Villa Ephrussi de Rotschild à Saint-Jean Cap Ferrat,  estampillée de Cramer, ébéniste germanique reçu maître en 1771.

Le plateau supérieur, bordé d’une galerie de bronze, est recouvert d’une paque d’étain rehaussé de gouache, or et argent, portant l’inscription « Vue du Palais Royal prise du fond du jardin, exécutée sur le tour par Compignié, Tabletier du Roy ». Cette vue est remarquable par la précision du dessin d’architecture, encadré par des rinceaux bordés de perles, dans de délicats coloris de rose, vert et doré, l’ensemble sur fond vert à décor de rais jonchés de fleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques exemples de mobilier faisant usage de la tôle peinte

 

On peut citer :

 

-chaises, en général en bois fruitier, à dossier orné d’un panneau de tôle peinte 61;

-dais 62 ;

-guéridon 63 ;

-table de chevet 64 ;

-table à thé ;

-table de salon (travail allemand de Stobwasser) 101;

-buffet deux corps (travail anglais) 106

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Chaise n°2.JPGChaise n°1.JPGChaise n°3.JPGChaise n°4.JPG

Chaise n°4 Détail.JPGChaise n°1 Détail.JPGChaise n°3 Détail.JPGChaise n°2 Détail.JPG

Suite de quatre chaises

 

61 Suite de quatre chaises en noyer, le dossier orné d’un panneau en tôle peinte présentant une scène intitulée « La parade militaire ». Epoque Empire.

Coll. Cazenave

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ciel de lit Serpette 01 12 2007.JPG

Dais

 

 

62

Dais ou ciel de lit en tôle peinte bleu pâle, à six branches incurvées se rejoignant au sommet sur un bouquet de feuilles dorées, la couronne, munie de crochets, ornée de losanges bleu foncé, ornementation de fleurs stylisées dorées. Epoque début 19ème siècle.

Commerce d’art. Marché Serpette. 2008.

 

 

 

 

 

 

 

Guéridon 1770.JPGGuéridon 1770 bis.JPG

Guéridon/p>

 

 

63

Guéridon en acajou, plaques de tôle peinte sur le plateau et en ceinture, à l’imitation de la porcelaine, vers 1770.

Cité par Thibault Wolversperges dans « Le meuble français en laque du 18ème siècle ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

P1000169.JPG

Table de chevet

 

64

Table de chevet en tôle peinte à l’imitation du bois, un tiroir en partie haute, ouvrant à une porte. Première partie du 19ème siècle.

Coll Cazenave

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

P1000265.JPG Table de salon plateau.jpgTable de salon détail.jpg

Table de salon de Stobwasser

101

 

Rare table de salon en tôle laquée noire. Elle présente un plateau ovale orné au centre d’une perruche burgautée, reposant sur un rinceau fleuri et feuillagé. La ceinture est ornée de cartouches à fond crème à décor de fleurs dans un encadrement doré. Elle présente un tiroir latéral en ceinture. Montants et pieds cambrés, réunis par une entretoise rognon, laquée d’un bouquet de fleurs. Chutes et sabots de bronze ciselé et doré, feuillagés.

Attribuée à Stobwasser   Braunschweig.

Allemagne (?)  circa 1780.

H : 72 cm ; L : 55,5 cm ; P : 39 cm.

Estimation 20000 € - 25000 €.

 

Cette table d’une très grande qualité est caractéristique des productions de Stobwasser Braunschweig (1740 – 1825), ce dernier ayant développé la technique du décor peint sur tôle et nacre. Il fut sous  la protection du duc de Brunswick. Son atelier employait en 1796 jusqu’à quatre-vingts artisans.

Une table extrêmement proche est illustrée dans l’ouvrage de G.Himmelherber : « Die kunst des deutschen mobels », volume III Munich 1973, illustration n°79.       

 

Lot n° 148 ; Vente Piasa 10 décembre 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

106 Cabinet deux corps en acajou George III.jpg106 Cabinet deux corps George III détail.jpg

Cabinet deux corps George III

106

 

Rare cabinet anglais en acajou, à deux corps, à panneaux de tôle peinte. Epoque Gorge III, circa 1800.

Le corps supérieur présente une corniche plane au dessus de deux portes, chacune à double panneau de tôle polychrome, l’un rectangulaire et l’autre ovale.

Les panneaux rectangulaires représentent respectivement l’un une scène de village  animée d’un joueur de cornemuse et d’une jeune fille  assise prés d’un bouquet de fleurs devant un cottage, l’autre une scène similaire avec un couple  de danseurs.

Les panneaux ovales représentent l’un une femme  tenant une ancre personnifiant  l’Espoir et l’autre une femme entre les plateaux d’une  balance symbolisant la Justice.

Le corps inférieur présente un tiroir en ceinture à  écritoire coulissant, surmontant un buffet ouvrant  à deux portes à panneaux de tôle polychrome décorés tous deux de couples d’amoureux dans un décor champêtre. Il repose sur des pieds  légèrement inclinés.

H : 1645,1 cm ; L : 81,3 cm ; P : 53,3 cm.

Vente Sotheby’s New York 24 avril 2008; Collection Tom Devenish ; lot  n° 168.

Estimation : $ 400000-60000.

Provenance Sotheby’s Londres,, 26 septembre 1997, lot n° 208.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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